Le trouble jeu de la Turquie dans la chute d’Al-BaghdadiPar Armin Arefi
Le POINT, 30/10/2019
Outre la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi, l’opération menée samedi par les forces spéciales américaines contre une maison de Baricha, dans le nord-ouest de la Syrie, apporte une autre information d’importance. L’éphémère « calife » de Daech, que l’on pensait caché quelque part dans la zone désertique entre la Syrie et l’Irak, là même où a pris fin son « califat » en mars dernier, avait en réalité trouvé refuge dans un village de 7 000 âmes situé à Idleb, à moins de cinq kilomètres de la frontière turque.
« La Turquie doit nous fournir des explications », a réagi dimanche Brett McGurk, l’ancien envoyé de la Maison-Blanche pour la coalition anti-Daech en Irak et en Syrie, dans une tribune au Washington Post. « Baghdadi n’a pas été retrouvé dans ces régions traditionnelles dans l’est de la Syrie ou dans l’ouest de l’Irak – mais simplement à quelques miles de la frontière turque, et dans la province d’Idleb, qui a été protégée par une dizaine d’avant-postes militaires depuis le début de l’année 2018 », a rappelé l’ancien diplomate américain, qui a démissionné de son poste en décembre 2018 pour protester contre la décision de Donald Trump de retirer un premier contingent de soldats de Syrie.
Services de renseignements turcs
La résidence où a été retrouvé le « calife » djihadiste appartient à Abou Mohamad Salamé, un membre de Tanzim Hurras ad-Din, organisation issue de Hayat Tahrir al-Cham (HTS). Anciennement connu sous le nom de Front al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, HTS s’est allié à partir de 2015 à d’autres groupes islamistes et d’anciens membres de l’Armée syrienne libre pour former l’Armée de la conquête et s’emparer du nord-ouest de la Syrie aux dépens du régime syrien. « L’Armée de la conquête, dont faisait partie HTS, a été entraînée en Turquie et alimentée en armes et en combattants par Ankara », rappelle le géographe Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon-2 et spécialiste de la Syrie.
Dernier bastion des opposants à Bachar el-Assad, la province d’Idleb a été épargnée par un retour du régime syrien grâce à un accord conclu en septembre 2018 entre la Russie et la Turquie. Celui-ci a abouti à la création d’une zone démilitarisée à Idleb, ainsi qu’à la mise en place à travers la province de douze postes d’observation contrôlés par l’armée turque pour la surveiller. Mais dans les faits, Hayat Tahrir al-Cham conserve toujours la mainmise sur ce territoire. Désormais considéré comme une « organisation terroriste » par Ankara, HTS a profité de la fin du « califat » de Daech pour récupérer un certain nombre de ses combattants. « Il existe aujourd’hui des liens établis entre HTS et les services de renseignements turcs du MIT et rien de ce qui se passe dans cette zone ultrasensible n’échappe à leurs oreilles », poursuit Fabrice Balanche. Selon le New York Times, Abou Bakr al-Baghdadi se trouvait à Baricha depuis plus de trois mois. « Il est donc difficile d’imaginer que HTS n’ait pas su qu’Al-Baghdadi se cachait dans la zone et que les Turcs n’en étaient pas informés », souligne le géographe.
Déconfliction
La Turquie a en tout cas été publiquement remerciée dimanche matin par Donald Trump, aux côtés de la Syrie, de l’Irak, de la Russie et des Kurdes de Syrie, lorsque le président américain a confirmé depuis la Maison-Blanche l’élimination du chef de Daech. Mais s’il apparaît que les services de sécurité irakiens et kurdes ont effectivement fourni des renseignements clés à Washington, obtenus de la part d’anciens compagnons de lutte d’Al-Baghdadi, pour permettre de localiser le chef de Daech, il n’en va pas de même pour Ankara, qui a été tenue écartée de l’opération, selon les révélations du magazine Newsweek, le premier à avoir annoncé le décès d’Abou Bakr al-Baghdadi.
À en croire le ministère turc de la Défense, il y a bien eu « des échanges d’informations et une coordination entre les autorités militaires des deux pays » en préalable à l’opération américaine. Mais il apparaît clairement que ceux-ci ont uniquement porté sur un mécanisme de « déconfliction » entre les deux pays, c’est-à-dire une coordination entre leurs armées afin qu’elles ne se télescopent pas, ainsi que sur l’ouverture par la Turquie de son espace aérien aux hélicoptères américains de sorte qu’ils puissent pénétrer plus facilement dans le nord-ouest de la Syrie, sans passer par les zones sous le contrôle du régime syrien. Soit tout ce qu’il y a de plus normal pour deux alliés de l’Otan.
« Révélateur »
Plus étrange en revanche, le fait que les États-Unis n’aient pas utilisé pour leur opération la base aérienne d’Incirlik, pourtant principal site de l’organisation en Turquie, située à 200 kilomètres de la ville de Baricha, pour privilégier celle d’Erbil, dans le Kurdistan irakien, à 700 kilomètres de là. « Il est révélateur que l’armée américaine ait choisi de lancer son opération à des centaines de miles en Irak, alors qu’elle disposait d’installations en Turquie, un allié de l’Otan, juste de l’autre côté de la frontière », pointe l’ex-diplomate américain Brett McGurk dans sa tribune au Washington Post.
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«Laisser tomber les Kurdes est irresponsable et compromet notre sécurité nationale»Nelly Terrier
Le PARISIEN, 11 octobre 2019
André Hébert, ancien engagé volontaire dans le bataillon international des forces kurdes, revient sur l’offensive turque en Syrie.
André Hébert, 28 ans, connaît le nord-est de la Syrie pour y avoir été engagé volontaire dix-huit mois en deux périodes entre 2015 et 2017, aux côtés de l’YPG, l’armée kurde au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS). Soldat dans le bataillon des volontaires internationaux, ce Français a participé à la victoire contre le groupe terroriste Etat islamique. Cet engagement risqué, dont il a livré le récit dans un livre, « Jusqu’à Raqqa » ( Ed. Les Belles Lettres ), fait de lui un connaisseur de la région et des forces en présence. Il réagit au retournement américain.
Quel est votre sentiment sur le tweet brutal de Trump et l’abandon des Kurdes du nord-est de la Syrie ?
ANDRÉ HÉBERT. Je ne crois pas au coup de tête de Trump, les relations internationales ne sont jamais menées par un seul homme, tout dirigeant est entouré d’une équipe. Je pense plutôt que le président américain et son clan ont négocié quelque chose avec la Turquie, peut-être qu’ils ont obtenu qu’elle s’amarre plus fortement dans l’Otan et ne se rapproche pas d’avantage de l’axe Russie-Iran. Si concession turque aux Etats-Unis il y a, elle apparaîtra tôt ou tard dans les mois qui viennent.
L’abandon des Kurdes serait donc, selon vous, une monnaie d’échange ?
Oui, et en échange, les Turcs ont obtenu ce qu’ils demandaient depuis longtemps, à savoir opérer un nettoyage ethnique dans les territoires kurdes de la Syrie. Ces derniers sont sacrifiés sans état d’âme.
Quel est le but exact de la Turquie ?
Le but a été clairement affiché par Erdogan qu’on a vu jusqu’à l’ONU présenter une carte montrant la zone qu’il veut annexer et qui correspond exactement au peuplement kurde en Syrie. Tout le monde sait également, parce que la Turquie l’a dit, que le but est d’y installer les 3,7 millions de réfugiés arabes syriens actuellement présents en Turquie. L’armée turque va bombarder le plus de civils kurdes possible et si elle arrive à conquérir les territoires, elle y déplacera les réfugiés arabes pour anéantir le peuplement kurde.
Les autres pays occidentaux, dont la France, semblent ne rien pouvoir empêcher, pourquoi ?
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La Turquie n’a rien fait pour arrêter les djihadistes: maintenant, il est trop tardAaron Stein —
Le Slate 8 juillet 2016
Pendant des années, Ankara s’est concentré sur Assad au lieu de viser le réseau djihadiste qui opérait sur son sol. Aujourd’hui, ces cellules veulent détruire la Turquie.
Temps de lecture: 11 min
Depuis 2015, l’organisation État islamique mène une campagne militaire en Turquie à coups d’attentats-suicides, de missiles non guidés tirés depuis la Syrie sur les villes turques frontalières et d’assassinat de journalistes syriens qui y vivent. L’attentat du 28 juin contre le principal aéroport d’Istanbul par trois kamikazes non turcs qui a fait 44 morts et plus de 200 blessés est son dernier fait de guerre en date. C’était le dixième attentat à la bombe lié à l’État islamique, une furie qui a tué 233 personnes depuis janvier 2015.
Le gouvernement turc a sévi contre le groupe djihadiste en emprisonnant des centaines de ses membres depuis mars 2015. Mais, malgré les efforts d’Ankara, l’État islamique reste capable de perpétrer ses attentats terroristes; et il a mis au point une stratégie visant à déstabiliser le pays et à réduire ses ennemis au silence.
L’État islamique a pour objectif de saper l’économie turque, d’accentuer la polarisation ethnique et politique dans le pays, d’assassiner les voix syriennes qui le critiquent et de punir la Turquie pour son soutien aux groupes d’opposition arabes qui lui sont hostiles. Cette stratégie n’est pas une réaction à un événement unique –comme les récentes pertes de l’État islamique ou le rapprochement entre la Turquie et Israël– mais plutôt un plan soigneusement conçu pour terroriser la population turque et déstabiliser le pays.
Le réseau de l’État islamique en Turquie s’est construit sur un réseau plus ancien et bien établi de salafistes turcs. Parmi eux, un petit sous-ensemble qui entretient des liens avec le djihad international a, pendant environ trois ans après le début de la guerre civile en Syrie, opéré relativement ouvertement dans de nombreuses villes turques alors qu’il était sous la surveillance des services de renseignements turcs pour ses liens supposés avec al-Qaida.
Pour l’instant, on ignore par quel biais ni même si les trois terroristes de l’aéroport d’Istanbul appartenaient à ce réseau. Ces hommes seraient entrés en Turquie un mois avant et les autorités turques soupçonnent qu’ils ont été envoyés directement de Raqqa, la capitale de l’État islamique, avec les ceintures explosives et les armes utilisées pendant l’attaque. Les trois hommes, des étrangers, auraient loué un appartement dans le quartier stambouliote de Fatih avant de prendre un taxi pour l’aéroport. Ces informations laissent entendre qu’ils ont reçu de l’aide côté turc de la frontière mais pour l’instant aucune information n’a été divulguée sur le réseau de soutien dont ils ont bénéficié pour perpétrer leur attentat.
Surveillance électronique
L’histoire d’al-Qaida et de l’État islamique en Turquie –ainsi que des réseaux qui y ont soutenu d’autres terroristes de l’État islamique– est bien connue. De nombreux recruteurs pour al-Qaida et l’État islamique ont passé un certain temps en Afghanistan, soit pour se battre contre les soviétiques dans les années 1980, soit contre les États-Unis dans les années 2000, avant de retourner dans les villes turques. La Turquie a longtemps joué un rôle de centre de transit pour djihadistes étrangers partis de leur pays natal pour mener le djihad en Tchétchénie et au Daghestan contre les forces russes, ou contre les forces américaines en Irak entre 2003 et 2011.
La Turquie a longtemps joué un rôle de centre de transit pour djihadistes étrangers partis de leur pays natal pour mener le djihad
Gaziantep, grande ville frontalière à une centaine de kilomètres au nord de la ville syrienne d’Alep, s’est avérée être une étape cruciale pour les combattants étrangers traversant la Syrie pour se rendre en Irak afin de se battre contre les États-Unis. Louai Sakka, Kurde syrien originaire d’Alep, acteur décisif de ce réseau, a entretenu des liens nourris avec Abou Moussab al-Zarqaoui, dirigeant de l’incarnation précédente de l’État islamique, al-Qaida en Irak. Sakka a également combattu les États-Unis à Falloujah en 2004 et il est lié aux bombardements de 2003 par al-Qaida de cibles juives et occidentales à Istanbul. Il a été arrêté dans la ville turque d’Antalya en 2006 alors qu’il préparait un attentat contre des cibles liées à Israël.
Sakka n’était qu’un des acteurs d’un réseau bien plus vaste opérant sur le sol turc au nom de groupes djihadistes syriens. Son avocat turc, Osman Karahan, a été tué en Syrie alors qu’il combattait le front al-Nosra en 2013. Le frère d’Osman, Sinan, est lui aussi avocat et représente HISADER, une ONG islamiste autrefois basée dans le quartier stambouliote de Gungoren accusé d’être un lieu de recrutement de l’État islamique. Les autorités turques ont fermé HISADER en 2015, mais au moins un homme lié à cette ONG, Huseyin Peri, s’est battu dans les rangs de l’État islamique contre les YPG des Kurdes de Syrie près de Tel Abyad en 2015. Peri est lié à au moins trente-cinq autres membres de l’État islamique anciennement basés dans la ville d’Adiyaman, dans le sud-est de la Turquie.
La Turquie est au courant de l’existence de ces réseaux depuis les premiers jours du conflit syrien. En 2012, la police turque a commencé à exercer une surveillance électronique de Turcs soupçonnés d’être membres d’al-Qaida mais n’a pas fait grand-chose pour détruire leurs réseaux. Les responsables des renseignements turcs ont laissé entendre en privé qu’ils étaient davantage intéressés par la cartographie du réseau pour découvrir où les menaient les informations que par l’arrestation incessante de recrues mineures.
Endoctrinement et sessions de paintball
Le gouvernement turc avait également estimé que le conflit syrien serait de courte durée et pressenti que le président Bachar al-Assad serait forcé de quitter le pouvoir en six mois. À ses yeux, le problème des djihadistes en Syrie était secondaire par rapport à celui du régime syrien, et sa priorité immédiate était de vaincre Assad. La menace djihadiste, avançaient de nombreux responsables turcs, était liée à la violence d’Assad. Il s’agissait à leurs yeux de faire chuter le régime avant qu’une solution à long terme au problème d’un groupe comme l’État islamique puisse être envisagée.
Mais pendant qu’Ankara se concentrait sur Assad, les djihadistes œuvraient à étendre leur influence sur le sol turc. Les méthodes des djihadistes turcs ressemblaient énormément à celles de l’État islamique en Irak: ils établissaient des cellules intégrées dans des réseaux hiérarchiques. Comme en Irak, ces cellules cherchaient à utiliser les médias à des fins de propagande. En Turquie, le chef d’une cellule d’al-Qaida, Ilham Bali, a travaillé de façon très étroite avec Abdulkadir Polat, rédacteur en chef du site d’informations turcophone Takva Haber. Ce qui laisse penser qu’un chef de l’État islamique plus haut placé et basé en Syrie a contribué à façonner le contenu éditorial de Takva Haber.
Les transcriptions qui ont fuité montrent clairement que le gouvernement turc surveillait ces réseaux. La décision de ne pas les réprimer dès le début du conflit syrien s’est violemment retournée contre Ankara: pendant que la guerre faisait rage en Syrie, des recruteurs d’al-Qaida et de l’État islamique essayaient de convaincre de jeunes Turcs et d’autres Turcs qui travaillaient en Syrie avec des ONG islamistes de rejoindre leurs rangs.
Ces recrues potentielles auraient été invitées à participer à un genre d’entraînement militaire rudimentaire en Turquie, peut-être en conjonction avec un endoctrinement religieux. Feu Yunus Durmaz, l’ancien «émir de Gaziantep de l’EI», avait constitué une équipe de dix-neuf recrues pour simuler des combats lors de matchs de paintball. Au moins deux des participants, Ismail Gunes et Mehmet Ozturk, ont ensuite perpétré des attentats terroristes à Gaziantep et à Istanbul au nom de l’État islamique. Un autre homme lié à leur groupe, Talha Gunes, correspond à la description d’un formateur militaire turc, «Ebu Talha», basé dans la ville syrienne de Tabqa, à en croire Savas Yildiz, membre turc de l’État islamique aujourd’hui entre les mains des Kurdes en Syrie. Les renseignements turcs auraient surveillé ces sessions de paintball et auraient donc eu vent des séances d’endoctrinement, selon le quotidien turc Gazetevatan.
Le gouvernement turc surveillait ces réseaux terroristes. La décision de ne pas les réprimer dès le début du conflit syrien s’est violemment retournée contre Ankara
L’endoctrinement religieux se serait poursuivi pendant près de quatre mois, et ensuite les jeunes impliqués auraient été obligés de prêter allégeance à l’État islamique, selon les nombreux rapports publiés par différents quotidiens turcs décrivant le recrutement par l’État islamique. Après la prestation de serment, les nouveaux membres turcs auraient été envoyés en Syrie, souvent grâce à des passeurs de Gaziantep ou de Sanliurfa. Une fois en Syrie, ces recrues subiraient une nouvelle salve d’endoctrinement religieux et recevraient une formation militaire de base dans des unités turcophones.
Tentatives d’éradication
À la suite de la scission entre le front al-Nosra et l’État islamique en 2013, l’État islamique a pris le contrôle total de tous les réseaux de passeurs d’al-Qaida vers la Syrie. Yunus Durmaz contrôlait les itinéraires de passage clandestin de l’État islamique via Gaziantep et aurait fabriqué des vestes d’explosifs dans des entrepôts qu’il possédait à Gaziantep afin de réaliser des attentats en Turquie. Durmaz collaborait étroitement avec Bali, un agent de l’État islamique qui s’est rendu à Gaziantep puis en Syrie avant mars 2015. Il serait le cerveau de cinq attentats liés à l’État islamique en Turquie, tous visant des cibles ayant un rapport avec les Kurdes. Le dernier de ces attentats est celui qui a été commis en octobre 2015 dans la gare d’Ankara, au milieu d’un rassemblement organisé par un parti politique kurde, et qui a tué 103 civils. Les auteurs de cet attentat étaient un Turc et un étranger.
L’attentat à Ankara était le premier à être dû à une équipe de kamikazes constituée d’un Turc et d’un étranger, ce qui laisse deviner l’existence de liens entre des membres de l’État islamique turcs et, probablement, syriens ou irakiens. C’est aussi la dernière attaque en date visant une cible kurde, et marquant le début de la récente vague d’attentats contre l’économie touristique turque. En janvier, Nabil Fadli, un Saoudien de 28 ans qui vivait en Syrie, a tué dix touristes à Sultanahmet, un grand quartier touristique d’Istanbul. En mars, Mehmet Ozturk, un Turc né en 1992, s’est fait exploser sur une avenue très fréquentée, Istiklal, tuant cinq personnes. Durmaz aurait aussi aidé à planifier cette attaque, ce qui souligne son importance pour le réseau de l’État islamique en Turquie.
Les forces de sécurité turques semblent faire des progrès dans leurs tentatives d’éradication de ce réseau de membres de l’État islamique. Fin décembre 2015, la police turque a arrêté Musa Canoz et Adnan Yildirim alors qu’ils se rendaient à Ankara pour perpétrer deux attentats-suicides pendant les fêtes de la nouvelle année. Les forces de sécurité turques ont ensuite arrêté de nombreux membres de l’État islamique, sans doute grâce aux renseignements obtenus lors des interrogatoires de Canoz et Yildirim. Canoz a fait la connaissance de Bali en 2012 dans le quartier Haci Bayram d’Ankara, qui sert notoirement de cadre au recrutement par l’état islamique.
Après les deux arrestations, la police turque a fait une descente dans la résidence de Durmaz à Gaziantep au mois de mai. Yunus s’est tué en actionnant une veste bourrée d’explosifs. Mais la police a réussi à récupérer son ordinateur portable, qui a fourni de nombreux renseignements sur les prévisions d’attentats de l’État islamique en Turquie. L’ordinateur contenait des photos de bases policières et militaires et d’aéroports turcs. D’autres fichiers laissaient deviner que la stratégie de l’État islamique est de fomenter des conflits ethniques et politiques en attaquant des cibles liées aux Kurdes et à la minorité religieuse alévie. Nul ne peut nier que le groupe djihadiste ait atteint cet objectif: les dirigeants du parti politique à majorité kurde, le HDP, accusent le Parti de la justice et du développement au pouvoir d’aider l’État islamique, tandis que les représentants du gouvernement turcs prétendent que le principal parti kurde syrien est indirectement allié à l’État islamique en Syrie.
Le dernier attentat en date à l’aéroport Atatürk d’Istanbul s’inscrit dans le schéma récent des attaques de l’État islamique, qui semble viser de plus en plus des cibles liées au tourisme et aux étrangers en Turquie. En outre, s’il s’avérait que des Turcs étaient également impliqués dans cet attentat, cela serait le deuxième commis par une équipe multinationale ces derniers temps. L’État islamique associe cette politique à des stratégies d’assassinat de journalistes et d’activistes basés en Turquie et qui rapportent les atrocités commises en Syrie par l’EI.
Long combat
L’histoire récente d’al-Qaida et de l’EI en Turquie souligne l’importance d’entreprendre des actions immédiates pour détruire les réseaux terroristes dans l’œuf
Le gouvernement turc a entrepris de nombreuses démarches pour fermer la frontière avec la Syrie depuis fin 2014. En juillet 2015, la Turquie a accepté de permettre à la coalition anti-État islamique d’effectuer des frappes aériennes partant de la base aérienne d’Incirlik, notamment pour soutenir les Forces démocratiques syriennes, un groupe-parapluie comprenant les YPG kurdes syriennes. Le personnel de sécurité turc a également intensifié ses efforts pour éliminer et emprisonner des membres turcs de l’État islamique. Cependant, le groupe reste capable de faire traverser la frontière à des hommes et à du matériel –y compris des explosifs–, et ce, malgré les tentatives de la Turquie de la fermer complètement.
Il ne reste plus beaucoup de possibilités à la Turquie pour intensifier sa guerre contre l’État islamique, à part utiliser ses forces sur le terrain pour lui reprendre des territoires. Mais Ankara a clairement annoncé qu’il n’était pas prêt à envoyer des forces terrestres en Syrie, il ne lui restera donc qu’à agir par le biais d’intermédiaires. Ce qui laisse penser que les prochaines étapes pour la Turquie s’inscriront dans la continuité: raids policiers, bombardements quasi quotidiens de cibles de l’État islamique dans le nord d’Alep, poursuite du soutien de la coalition anti-État islamique et une plus grande souplesse concernant le programme de départ d’Assad dans le cadre d’un potentiel accord de paix syrien soutenu par les États-Unis et la Syrie.
Pour la Turquie, le combat contre l’État islamique se poursuivra longtemps après la libération de Raqqa et l’expulsion du groupe au-delà de ses frontières. L’année de naissance moyenne des combattants de l’État islamique turc est 1990, selon des données collectées par l’auteur de ces lignes. Ce qui signifie que le combattant de l’État islamique moyen avait juste 20 ans lorsque la guerre en Syrie a éclaté. Beaucoup de ceux qui n’ont pas été tués pendant le conflit vont retourner en Turquie, ce qui aura des effets potentiellement dévastateurs pour la paix intérieure du pays.
L’histoire récente d’al-Qaida et de l’État islamique en Turquie souligne l’importance d’identifier les principaux recruteurs et d’entreprendre des actions immédiates pour détruire les réseaux terroristes dans l’œuf. Quand on les laisse agir –même si c’est pour obtenir des renseignements sur le réseau à plus grande échelle–, ces groupes métastasent et leur portée prend de l’ampleur. Le conflit syrien a certainement contribué à l’augmentation de la radicalisation en Turquie, mais ceux qui l’ont permis étaient présents bien avant la guerre et ils seront toujours là lorsqu’elle sera terminée.
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Actualité
La décision du ministère français avait été dénoncée comme “discriminatoire” par le CRIF
Les denrées alimentaires originaires des “territoires occupés par l’État d’Israël doivent porter la mention de leur territoire d’origine, et le cas échéant préciser qu’elles proviennent d’une colonie israélienne”, a tranché mardi la Cour de justice de l’UE.
L’Autorité palestinienne (AP) pourrait se diriger vers ses premières élections législatives et présidentielles en 14 ans, ce qui, jusqu’à récemment, n’était même pas considéré comme une possibilité lointaine, certainement pas du vivant du président de l’AP Mahmoud Abbas.
David Sebban
Coolamnews, 12 novembre 2019
Plus d’une cinquantaine de roquettes ont été tirées mardi matin depuis Gaza vers Israël. Le porte-parole de Tsahal dit s’attendre à plusieurs jours d’affrontements après la « frappe chirurgicale » menée contre Baha abu al-Ata, un haut commandant du groupe terroriste palestinien du Djihad islamique abattu à son domicile dans la bande de Gaza.
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