«Ceux qui encouragent les Palestiniens dans leur rejet du plan de Trump ne servent pas la cause de la paix»
Emmanuel Navon
Le Figaro, Publié le 5 février 2020
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/ceux-qui-encouragent-les-palestiniens-dans-leur-rejet-du-plan-de-trump-ne-servent-pas-la-cause-de-la-paix-20200205
Le tant attendu «plan du siècle» de Donald Trump a reçu un accueil mitigé en Europe. Le gouvernement britannique s’est montré favorable ; le gouvernement français a annoncé qu’il allait l’étudier ; le gouvernement allemand a affirmé que le plan soulevait des questions qu’il souhaite discuter avec ses partenaires européens. Le représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a accusé le plan de remettre en cause les «frontières de 1967» et a laissé entendre qu’il n’était pas conforme au droit international.
Le plan est fidèle aux conditions que Rabin avait énoncées. Il prévoit même de compenser l’État palestinien par une annexion de taille semblable au sein de l’État d’Israël.
Une lecture attentive de ce plan de 181 pages démythifie l’idée répandue selon laquelle il constitue un diktat humiliant pour les Palestiniens, qu’il est en porte-à-faux avec le droit international, et qu’il se démarque des accords d’Oslo. Le plan est en réalité fidèle aux conditions qu’Yitzhak Rabin avait énoncées, un mois avant son assassinat en novembre 1995, pour la conclusion d’un accord avec les Palestiniens: Jérusalem unifiée sous souveraineté israélienne ; annexion par Israël de la vallée du Jourdain et des blocs d’implantations ; un État palestinien démilitarisé et à souveraineté limitée.
Le «plan du siècle» reprend les idées de Rabin, mais en abondant plus loin dans le sens des Palestiniens. Alors que Rabin avait prévu d’annexer entre 20 et 30% de la Cisjordanie (comme en témoigne Dennis Ross dans son livre «The Missing Peace»), le plan prévoit de compenser l’État palestinien par une annexion de taille semblable au sein de l’État d’Israël – une idée que Rabin n’aurait jamais acceptée. En contrepartie des quelque 30% de la Cisjordanie annexés à Israël, l’État palestinien annexera un territoire israélien de taille équivalente (au nord-ouest et au sud de la Cisjordanie et au sud de la Bande de Gaza à la frontière avec l’Égypte). Le plan précise que le but de ces échanges territoriaux est d’«accorder à l’État palestinien un territoire dont la taille sera semblable à la Cisjordanie et à la Bande de Gaza d’avant 1967» (page 12).
Le plan est fidèle à la solution de deux États.
Le plan se conforme donc à la résolution 2334 du Conseil de Sécurité adoptée en décembre 2016 suite à la décision de l’administration Obama de ne pas y opposer son véto. Cette décision, en rejetant tout changement aux lignes d’armistice de 1949 sans l’accord des parties, constitua un revers pour Israël car elle remettait en cause la flexibilité de la résolution 242 qui, elle, ne demande d’Israël (moyennant un accord de paix) qu’un retrait de territoires («from territories» dans la version anglaise qui fait autorité, contrairement à la version française qui parle «des territoires»). Tandis que la résolution 242 permet à Israël des gains territoriaux dans le cadre d’un accord, la résolution 2334 les exclut de facto puisqu’elle requiert le consentement des Palestiniens. Trump critiqua certes le vote de la résolution 2334 mais son plan se conforme à ses exigences.
Le plan est fidèle à la solution de deux États et précise que son but est d’arriver «à une reconnaissance mutuelle d’Israël comme État-nation du peuple juif et de la Palestine comme État-nation du peuple palestinien» (page 7). L’État palestinien sera certes démilitarisé et sa souveraineté limitée, mais il sera contigu grâce à la construction d’un tunnel entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie et de ponts et de tunnels en Cisjordanie.
Sur la question de Jérusalem, le plan fonde sa proposition sur le rappel d’un fait qui mérite de l’être: la liberté de culte et la préservation des lieux saints des trois religions monothéistes n’ont été respectées et préservées que sous souveraineté israélienne (ce ne fut pas le cas sous souveraineté jordanienne entre 1949 et 1967). Jérusalem unifiée demeurera donc la capitale d’Israël, mais les quartiers de la ville situées au nord-est de la barrière de sécurité (construite à la suite de la seconde intifada) formeront la capitale de l’État palestinien. Précisément parce que le plan reconnaît l’importance de Jérusalem pour les trois religions monothéistes, il insiste pour que la vieille ville reste sous la souveraineté d’un État de droit.
Sur la question des réfugiés, le plan dit enfin les vérités trop longtemps oubliées, à savoir que la guerre de 1948 n’a pas produit que des réfugiés arabes mais également des réfugiés juifs, que le soi-disant «droit au retour» des Palestiniens est incompatible avec une solution de deux États et est sans fondement en droit international, et que l’UNRWA attise et amplifie le problème des réfugiés au lieu de le résoudre. Les réfugiés et leurs descendants (tant arabes que juifs) seront intégrés dans leurs Etats-nations respectifs et/ou dans leurs pays d’accueil, et indemnisés pour la perte de leurs biens.
Israël gèlera toute construction dans les territoires destinés à l’État palestinien. Enfin, le plan prévoit un «plan Marshall» de 50 milliards de dollars pour l’économie palestinienne. Afin que cet argent soit investi dans les infrastructures et ne soit pas utilisé pour financer le terrorisme et la corruption, l’État palestinien devra se doter d’institutions démocratiques et transparentes.
Le plan est censé être négocié entre Israël et les Palestiniens. Pendant la période des négociations, Israël gèlera toute construction dans les territoires destinés à l’État palestinien et les Palestiniens cesseront de harceler Israël à la Cour pénale internationale. Critiquer le plan Trump est légitime, mais encore faut-il que cette critique fût fondée sur les faits. Ceux qui encouragent les Palestiniens dans leur rejet a priori de ce compromis imparfait ne servent pas la cause de la paix.
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Les Palestiniens en butte à l’ONU à un soutien international évanescent
Jounaldekinshasa.com,10.02.2020
Les Palestiniens ont renoncé à demander un vote mardi au Conseil de sécurité de l’ONU d’une résolution rejetant le plan de paix américain, faute d’appui international suffisant et en raison de fortes pressions américaines sur les soutiens de leur président Mahmoud Abbas.
Porté par l’Indonésie et la Tunisie, le texte risquait de ne pas avoir neuf voix en sa faveur (sur quinze), le minimum requis pour une adoption, hors veto d’un pays membre permanent, a indiqué un diplomate. Selon une autre source, s’exprimant également sous couvert d’anonymat, les pays soutenant les Palestiniens ont été soumis à une « très forte pression » de Washington avec des menaces de « mesures de rétorsion » financières.
Cette décision soudaine survient après le dépôt par les Etats-Unis — dotés d’un droit de veto — d’une série d’amendements au texte en négociations depuis la semaine dernière et qui devait être mis au vote lors d’une réunion du Conseil de sécurité en présence de Mahmoud Abbas.
Selon les amendements américains obtenus par l’AFP, Washington propose de rayer des paragraphes entiers du projet, notamment tous ceux faisant référence explicitement aux résolutions de l’ONU depuis 1967. Toutes les mentions relatives à Jérusalem-Est sont aussi supprimées.
Si les amendements américains continuent de reconnaître que le plan de paix américain du 28 janvier « s’écarte des paramètres internationalement approuvés pour une solution durable, juste et totale » au conflit israélo-palestinien, il veut souligner que le Conseil de sécurité « accueille favorablement la discussion sur cette proposition pour faire avancer la cause de la paix ».
« Les consultations continuent sur le texte », a indiqué un diplomate sous couvert d’anonymat. D’autres sources ont toutefois mis en doute la possibilité d’un vote ultérieur au vu de positions radicalement divergentes entre les Palestiniens et les Américains.
La venue de Mahmoud Abbas mardi matin devant le Conseil de sécurité n’est pas remise en cause à ce stade, ont indiqué plusieurs sources diplomatiques.
Le président palestinien pourra alors se targuer, dans son rejet du plan de paix américain dévoilé le 28 janvier, d’un soutien de la Ligue arabe, de l’Organisation de la Coopération Islamique et de l’Union africaine acquis dimanche. Mais dans la réalité, plusieurs pays clés, y compris parmi les membres de ces organisations, n’affichent pas une opposition catégorique aux Etats-Unis.
Le limogeage la semaine dernière de l’ambassadeur tunisien à l’ONU, en pleines négociations sur le projet de résolution palestinien, en a été une claire illustration.
Jeudi, Jared Kushner, gendre du président américain et artisan du plan de paix américain pour le Proche-Orient, avait résumé d’une formule lapidaire, l’état d’esprit de la communauté internationale. Ce front présente « des fissures en cascade », avait-il souligné.
Il s’était notamment félicité que l’Union européenne – dont quatre membres siègent au Conseil de sécurité (France, Allemagne, Belgique, Estonie) – avait été incapable de s’entendre sur un communiqué commun au lendemain de la publication du plan de paix de Donald Trump.
Selon des diplomates, un vote d’une résolution à l’ONU critiquant le projet américain aurait été loin de recueillir les 14 voix qui avaient dénoncé, en décembre 2017 lors d’un vote du Conseil de sécurité, la décision américaine unilatérale de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.
Depuis, le soutien international aux Palestiniens s’est érodé. Outre le Royaume-Uni qui a quitté l’UE fin janvier, des pays comme l’Allemagne ou l’Estonie pourraient s’abstenir lors d’un scrutin, estimait récemment un diplomate sous couvert d’anonymat, sans même parler du veto attendu des Etats-Unis pour tout texte critique.
Le projet de Donald Trump retient une « solution à deux Etats » et propose de créer une capitale d’un Etat palestinien à Abou Dis, un faubourg de Jérusalem, alors que les Palestiniens veulent faire de l’ensemble de Jérusalem-Est la capitale de leur Etat.
Il intègre aussi une annexion des colonies israéliennes, ainsi que de la vallée du Jourdain en Cisjordanie, territoire palestinien occupé depuis 1967, avec des frontières en rupture avec les lignes tracées à l’époque. Il prévoit enfin un Etat démilitarisé pour la Palestine.
Les Palestiniens et plusieurs pays ont rejeté ce plan comme déséquilibré et beaucoup trop favorable à Israël.
Jared Kushner qui a réuni jeudi les membres du Conseil de sécurité à New York a défendu une approche rompant avec les « habitudes » du passé qui n’ont rien donné, selon lui. Il avait aussi fait valoir que « les gens étaient fatigués de ce problème » entre Israël et les Palestiniens.
Le conseiller américain avait aussi confirmé avoir obtenu d’Israël qu’il n’y ait pas d’annexion de colonies ou de la vallée du Jourdain avant les élections israéliennes prévues début mars. Une façon de mettre un peu plus la pression sur Mahmoud Abbas pour qu’il vienne à une table de négociations discuter du plan américain.
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Plan Trump : Et si le « deal du siècle » était la solution ?
EDOUARD GRIS,
MABATIM.INFO, 14,02,2020
https://mabatim.info/2020/02/14/plan-trump-et-si-le-deal-du-siecle-etait-la-solution/
« La Palestine n’est pas à vendre »
La réaction de l’Autorité palestinienne au « Deal du siècle », établi par les États-Unis, n’a surpris personne. Si nous parlons de la caste au pouvoir, celle de Abou Mazen, leur « raison de vivre » est un refus systématique d’un plan qui ne répond pas à leurs exigences, à savoir : état palestinien qui aurait pour frontières, les lignes de cesser-le-feu d’avant 6 juin 1967, Jérusalem-Est, y compris Le Mont du Temple, pour capitale et le « retour de réfugiés », dont le nombre, du moins aujourd’hui, est impossible à définir. Autant dire, l’effacement de l’état d’Israël de la carte du monde. Alors, dans cette réalité, se pose la question : le plan Trump, pourquoi faire, puisque quel que soit le plan, d’emblée il sera rejeté par les Palestiniens.
Dans son préambule, le « Plan Trump » énonce que, si les Palestiniens le refusent, la faute à la continuation du conflit leur incombera, par conséquent Israël sera libre de fixer, unilatéralement ses frontières et de décider quelles parties de la Judée-Samarie seront annexées par Israël.
Mais tout cela n’est évidemment pas suffisant. La question la plus importante est de savoir si le plan « Trump » est susceptible d’amener la fin du conflit israélo – palestinien ? En fait, Israël fait aux Palestiniens la proposition suivante :
Si vous acceptez les principes du « Plan du siècle », les États-Unis, l’Europe et d’autres donateurs, mettront sur la table quatre-vingts milliards de dollars, dont une grande partie sera consacrée au développement du nouvel État palestinien. Par contre, si vous refusez, tous les financements et même ceux d’aujourd’hui, seront purement et simplement supprimés. En fait, cette question met au défi la direction actuelle palestinienne et l’obligera à prendre des décisions courageuses, pour l’avenir des Palestiniens.
Dans le cas où les Palestiniens refusent, ce sera la fin des financements. Alors le sort de la direction palestinienne actuelle ressemblera à celui de Yasser Arafat, avant les accords d’Oslo, à savoir la défaite du Fatah au Liban, puis l’exil à Tunis, où le bras armé d’Israël l’a gravement éprouvée, finalement, acculée politiquement et financièrement, la direction palestinienne « arafatienne » n’a eu d’autre issue, que d’accepter les accords d’Oslo, pour sauver Arafat et les siens d’une banqueroute, qui aurait été fatale à la « cause palestinienne ».
Jusqu’à aujourd’hui, les gouvernements arabes soutenaient la « cause palestinienne » pour des raisons purement intérieures à chacun de ces pays. Ce soutien garantissait aux gouvernements l’adhésion de la rue arabe et prolongeait la survie de ces régimes corrompus.
Aujourd’hui, après les « Printemps arabes », dont les causes étaient essentiellement l’incapacité des gouvernements arabes à résoudre de graves problèmes internes à chacun des pays, la « cause palestinienne » a forcément perdu de son pouvoir mobilisateur auprès de « la rue arabe ». Par la force des choses, l’antagonisme séculaire sunnites-chi’ites, est devenu la préoccupation dominante auprès des sunnites, d’autant plus que l’Iran semble sur le bon chemin afin d’acquérir l’arme nucléaire.
Rappelons que le conflit entre les sunnites et les chi’ites est beaucoup plus profond que le différend entre l’islam et le judaïsme. C’est un conflit existentiel à l’Islam et autrement plus destructif que le conflit avec les Juifs. Devant le danger d’un Iran potentiellement nucléaire, les pays sunnites ont compris, qu’il est urgent de travailler à l’avènement de la fin du conflit israélo-palestinien, pour avoir les mains libres, afin de contrer le danger chi’ite. Pour cela, il est indispensable de nouer des liens stratégiques avec les forces pouvant s’opposer à la poussée chi’ite au Moyen-Orient : États-Unis, Israël et d’autres acteurs occidentaux plus ou moins proches des États-Unis.
Pour pouvoir réaliser des accords avec l’occident anti iranien, les pays arabes sunnites devront donner des gages de sincérité, en arrêtant, ou du moins en limitant significativement, les financements et appuis politiques à l’autorité palestinienne, aux ONG tels BDS ou UNRWA et autres organisations « caritatives » palestiniennes. Ce mouvement n’en est qu’à ses débuts. Mais lorsque les millions de dollars viendront à manquer, essentiellement à l’oligarchie palestinienne, il est fort à parier que cette « élite » pourrie et corrompue s’écroulera et qu’elle arrêtera de piller les richesses des habitants des territoires palestiniens.
On peut espérer que lorsque la vielle garde « arafatienne » disparaîtra, une nouvelle direction, plus pragmatique et peut être plus honnête, sera désireuse d’arriver, sinon à une paix signée, du moins, à une coexistence pacifique avec Israël. Et c’est là que les milliards du « Deal du siècle » viendront à point nommé et la « proposition Trump » pourra voir le début de sa réalisation.
Toutefois il est évident que tous les pays sunnites ne sauront pas se satisfaire de la fin du conflit israélo palestinien. Certains de ces pays essaieront de maintenir la région sous pression.
Les régimes syrien ou iranien verront dans une éventuelle fin du conflit israélo-palestinien la disparition d’un moyen d’instrumentalisation à des fins intérieures, pour détourner la colère de leurs populations vers un bouc émissaire, commode depuis toujours, à savoir « l’occupant sioniste ». Et c’est là que l’on peut espérer que la Russie de Poutine, ou de son successeur, sera très intéressée par la fin du conflit, car très demandeuse d’une Syrie pacifiée et d’un Moyen-Orient plus calme. La Russie, échaudée par sa défaite en Afghanistan, redoute par-dessus tout, que la Syrie ne devienne son second Afghanistan.
Quant à l’Iran, il n’est pas impossible que les pressions américaines aboutissent à un résultat, où ce pays ne sera plus capable économiquement de continuer sa politique expansionniste et n’aura que la solution de retourner à la table de négociation pour renégocier un nouvel « accord nucléaire ». En revanche, s’il s’obstine dans sa fuite en avant, soit le régime des ayatollahs s’écroule, soit, on peut espérer, le peuple iranien mettra fin au règne des « barbus ». Si cela arrive, le Hezbollah, le Hamas, le Jihad islamique et nombre de milices chi’ites déstabilisant le Moyen-Orient, auront du souci à se faire.
Le nerf de la paix
Dans cette configuration du « nouveau Moyen-Orient », le « deal du siècle » de Trump, avec ses milliards, sera en mesure de fournir non plus « le nerf de la guerre » mais le « nerf de la paix », à savoir, l’argent.
Mais supposons que les Palestiniens s’obstinent dans leur posture « jusqu’auboutiste », où, comme l’a dit Abou Mazen, « Jérusalem n’est pas à vendre », alors il est presque sûr que la direction palestinienne actuelle s’effondrera, ce qui amènera inévitablement la fin du conflit. Et ce pour une raison bien simple, les populations sont lasses du conflit, et devant le choix : normalisation de leurs existences ou engagement dans une « intifada » sans fin, le Palestinien de la rue choisira, à n’en pas douter, la première option.
Édouard Gris, MABATIM.INFO
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