” texte que la presse a refusé de publier “
Le génocide est un acte d’une extrême gravité. Il est régi par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par les Nations unies en 1948, dans la foulée de l’Holocauste et à l’instigation d’Israël, notamment.
En vertu des textes onusiens, rappelons que, pour qu’il y ait génocide, il faut démontrer que les auteurs des actes en question ont eu l’intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Le mot « intention » est fondamental. Cette définition est juridique. C’est sur cette seule base, indépendamment des intérêts politiques des uns et des autres, qu’il convient d’examiner les accusations de génocide portées contre Israël devant la Cour internationale de justice.
L’histoire récente de l’humanité est jonchée de génocides. Rappelons-en quelques-uns.
Depuis février 2003, les Janjawid, puis les FSR, ont exterminé 400 000 Soudanais au Darfour. En 1994, des Hutus armés de machettes ont exterminé près de 800 000 Tutsis au Rwanda. À la fin des années 1980, les Serbes ont exterminé 200 000 civils musulmans. Entre 1975 et 1979, les Khmers rouges de Pol Pot ont exterminé près de 25 % de la population cambodgienne. Entre 1915 et 1918, les Turcs ont exterminé 1 500 000 Arméniens.
Il y en a malheureusement de nombreux autres : la Révolution culturelle en Chine, l’Holodomor ou génocide ukrainien, le génocide kurde aux mains de Saddam Hussein, le génocide des Hereros, etc. Aujourd’hui encore, la Chine se rend coupable de génocide envers les Ouighours et le Myanmar extermine les Rohingyas.
Et il y a bien entendu la Shoah, qui a fait plus de 6 000 000 de morts. La vocation du musée de l’Holocauste de Montréal est d’en perpétuer le souvenir, mais surtout d’inviter à en tirer les enseignements pour contribuer à la prévention de tous les génocides. À cette fin, il s’appuie sur la seule arme qui, à part le droit, soit efficace à cet égard: l’éducation.
Depuis le pogrom commis par le Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, et le déclenchement de la guerre à Gaza qu’il a provoquée, sur nos campus, sur plusieurs scènes politiques ou dans de nombreux forums, Israël est accusé de génocide. Cette accusation révoltante n’est pas nouvelle.
En effet, dès 2001, à l’occasion d’une conférence sur les droits de l’homme à Durban, en Afrique du Sud, le Forum des ONG déclarait déjà Israël coupable de génocide. Cette accusation était strictement politique et propagandiste. Les grandes démocraties occidentales s’étaient d’ailleurs progressivement dissociées de cette accusation.
Au cours d’une manifestation de ce Forum comptant des milliers de participants, on pouvait lire sur des pancartes « Hitler aurait dû finir le travail ». Le plus célèbre des textes anti-juifs, « Les Protocoles des Sages de Sion », était en vente dans l’espace d’exposition. L’Union des avocats arabes distribuait des caricatures antisémites rappelant l’époque nazie. Ce sont ces organisations qui accusaient Israël de génocide. Déjà à l’époque, le lien entre antisémitisme et antisionisme était donc limpide.
Cette Afrique du Sud qui accueillait cette conférence, c’est cette même Afrique du Sud qui, en 2015, recevait à bras ouverts Omar El Bashir, l’ancien président soudanais coupable du génocide au Darfour, et refusait de le renvoyer devant la Cour pénale internationale qui le réclamait pour crimes de guerre. Il est rentré chez lui et a tranquillement poursuivi ses basses œuvres jusqu’en 2019. Et c’est cette même Afrique du Sud qui, aujourd’hui, accuse Israël devant la Cour internationale de justice des Nations-Unies.
Certains pays joignent leurs voix à l’Afrique du Sud dans cette accusation lancée contre Israël. Parmi eux, la Corée du Nord, Cuba et la Turquie, tous très attachés aux droits de l’homme… chez les autres. L’Espagne ou l’Irlande, qui ne votent jamais en faveur d’Israël à l’Assemblée générale de l’ONU quel que soit l’enjeu. Et ne parlons pas des pays arabes.
La guerre actuelle résulte d’un pogrom mené délibérément par le Hamas contre des civils israéliens. Ce pogrom répond directement à la définition de génocide. Le Hamas ne se cache d’ailleurs pas de ses visées génocidaires jusque dans sa charte même. Mais pour le Hamas, pas d’accusation. En effet, la poursuite intentée contre Israël a été lancée devant la Cour internationale de justice, qui a autorité pour statuer sur les agissements des États, mais pas sur ceux d’organisations non étatiques. Ce qui exonère le Hamas. L’ironie est frappante. L’agresseur est indemne, mais l’agressé est poursuivi.
Toutefois, au-delà des motivations politiques ou du manque de crédibilité de ces accusateurs, au-delà de l’impunité dont le Hamas jouit en l’occurrence, ce qui importe en droit, ce n’est pas l’allégation. C’est la preuve. Hors de tout doute raisonnable. Où est cette preuve contre Israël?
Revenons au concept fondamental de l’intention. Le Hamas attaque Israël en assassinant des centaines de civils et en prenant des otages. Ce dernier se défend conformément au droit international qui, d’autre part, exige la protection maximale des civils.
Or le Hamas se sert de la population civile palestinienne comme de boucliers et loge ses infrastructures de combat dans des hôpitaux, des écoles, des mosquées et même des bureaux de l’ONU. Le tout est très largement documenté. Le Hamas sait très bien que, de ce fait, ces lieux deviennent des cibles militaires légitimes, conformément au droit de la guerre. Que les civils palestiniens en paieront le prix fort. Mais il compte sur le capital de sympathie que cela lui donnera. Il sait qu’Israël n’aura d’autre choix que d’attaquer, ce qui lui vaudra les dénonciations que nous connaissons, y compris ces résolutions onusiennes et cette poursuite devant la Cour internationale de justice visant à paralyser son action.
On ne peut pas à la fois reconnaître à Israël le droit de se défendre et l’empêcher de l’exercer.
Cette guerre fait de nombreuses victimes. Comme toute guerre, elle est effroyable et les témoignages de femmes en pleurs ou la vue de petits linceuls qui occupent quotidiennement l’espace médiatique nous le rappellent douloureusement. Les images de destruction prouvent que la guerre est impitoyable. Mais prouvent-elles qu’Israël ait l’intention d’éliminer les Palestiniens? Aurait-on accusé les Alliés de génocide allemand quand ils bombardaient Dresde pour mettre fin au nazisme? Aurait-on accusé les Canadiens de génocide irakien quand ils contribuaient au bombardement de Mossoul pour éliminer l’État islamique?
D’ailleurs, il est révélateur de rappeler que le Hamas se félicite ouvertement de ces tragédies à Gaza. Il y a quelques semaines à peine, son chef, Yahya Sinwar, qualifiait ces lourdes pertes de vies humaines de « sacrifice nécessaire ». Or génocide et sacrifice sont incompatibles. On subit le premier. On décide du deuxième. Les deux termes sont mutuellement exclusifs. On ne peut pas « s’auto-génocider ». S’il y a sacrifice, il ne peut donc pas y avoir de génocide.
L’ancienne juge à la Cour suprême du Canada, Rosalie Abella, déclarait le 9 janvier dernier, que « l’accusation de génocide contre Israël est un abus de l’ordre juridique international mis sur pied après la Seconde guerre mondiale. » Je souscris sans réserve à ce propos.
Quoi qu’il en soit, la Cour internationale de justice devra maintenant statuer sur d’importants principes de droit qui feront jurisprudence. Par exemple, jusqu’où un État peut-il aller dans sa défense contre une organisation terroriste, particulièrement dans des cas où des populations civiles sont prises en otage? La Cour devra juger sur la base de preuves irréfutables, à l’écart de toute ingérence politique. Et elle devra s’assurer qu’il n’y ait aucune ambigüité dans l’opinion publique à cet égard. Cette confiance en une justice indépendante est essentielle au maintien de sa crédibilité.
Né de la volonté de survivants de la Shoah, le musée de l’Holocauste de Montréal a pour mission de combattre les génocides. Il a donc l’obligation morale de s’élever contre toute tentative d’exploitation politique ou de banalisation de ce terme. Il a l’obligation d’en dénoncer tous les prétextes, tous les auteurs et toutes les manifestations. Il le doit à toutes les victimes de génocides d’hier et d’aujourd’hui.
Hon. Jacques Saada
Président
Musée de l’Holocauste de Montréal