David Bensoussan
L’homme d’État Talleyrand préconisait de faire l’éloge des interlocuteurs en public, mais, si nécessaire, de les injurier en privé. Tel ne semble pas avoir été le cas de l’administration Biden.
Le président américain a traité le président russe Poutine de tueur et fortement critiqué l’emprisonnement de son opposant Navalni. Lors des pourparlers tenus à Anchorage en Alaska entre diplomates américains et chinois, le secrétaire d’État américain a retenu les journalistes dans la salle pour fustiger publiquement la Chine en regard du traitement de la minorité ouïghoure, déclenchant une réponse du tac au tac, à savoir que la Chine n’avait pas de leçon à recevoir de l’Occident.
Après sa nomination, Biden a évité de s’adresser au roi saoudien de facto Mohamed Ben Salman en raison de l’affaire Khashoggi, journaliste qui aurait trouvé la mort à l’ambassade saoudienne à Istanbul.
Les accusations portées par les États-Unis peuvent être bien fondées. Il n’en demeure pas moins qu’il serait utile de planifier une stratégie qui tiendrait compte des forces et des faiblesses des adversaires ou partenaires qui peuvent être des compétiteurs, des rivaux ou des ennemis potentiels, compte non tenu du fait que la Chine et la Russie se méfient l’un de l’autre.
Biden avait promis d’œuvrer dans un esprit de collaboration et d’harmonisation. En arrivant à la Maison Blanche, il a édicté 42 décrets pour défaire systématiquement les décisions du président sortant Trump. Sa ligne de conduite en matière de politique étrangère est encore floue par certains aspects, du fait que la promotion de la démocratie à l’étranger ne va pas toujours de pair avec les intérêts américains.
États-Unis et Chine
Après le rétablissement des relations avec la Chine en 1972 durant la présidence du président Nixon, il fut décidé d’intégrer la Chine dans l’économie globale. Les bas coûts de main d’œuvre en Chine ont encouragé des dizaines de milliers d’industries à déménager dans ce pays et à transmettre leur savoir faire.
Les progrès économiques et militaires de la Chine auront été fulgurants et la superpuissance qu’est devenue la Chine offre des prêts considérables à des dizaines de pays dans le cadre de la nouvelle route de la soie et par surcroît s’affirme militairement à ses frontières. Contrairement aux espoirs et attentes, la Chine ne s’est pas ouverte à la démocratie.
En regard de la Chine, les déclarations et les actes de la Chine par rapport à Taiwan sont les plus problématiques : Taiwan produit 50% des semiconducteurs avancés et une mainmise chinoise sur Taiwan pourrait lui assurer de gagner définitivement la bataille du 5G, technologie qui va modifier la façon de faire dans presque tous les domaines de la vie.
Toutefois, les États-Unis et la Chine sont économiquement interdépendants. Leurs desseins politiques ne peuvent ignorer l’importance de leurs marchés respectifs. Les exportations de la Chine vers les États-Unis se montent à plus de 450 milliards de dollars et par ailleurs, la Chine compte pour 20% des ventes mondiales d’Apple. General Motors vend annuellement 2 millions de voitures à la Chine, soit 200 000 unités de plus qu’aux États-Unis.
Les ventes d’Intel à la Chine se montent à 20 milliards; celles de Qualcomm atteignent 11,5 milliards et sont 4 fois supérieures aux ventes aux États-Unis. Par rapport à la Chine, la bonne ligne à suivre n’a pas encore été établie par l’administration Biden.
Une alliance incluant le Japon, l’Australie, l’Inde et les États-Unis est en gestation. Ces quatre pays ont participé l’an passé aux exercices militaires annuels Malabar dans la baie du Bengale et le Golfe d’Oman. De plus, Taiwan, Brunei, le Vietnam, les Philippines, l’Indonésie et la Malaisie s’inquiètent de la politique des faits accomplis chinois en mer de Chine. De son côté, la Chine a décidé de renforcer ses liens avec le Pakistan, l’Iran et la Turquie.
La Chine qui a un conflit frontalier avec l’Inde a fait de grands investissements au Pakistan dans le cadre de l’initiative de la nouvelle route de la soie. Une alliance avec l’Iran prévoit des investissements majeurs sur 25 ans, réduisant considérablement l’effet des sanctions économiques onusiennes et notamment américaines. L’Iran serait ainsi – avec la Corée du Nord – un deuxième régime farouchement anti américain sustenté par la Chine. En outre, les banques chinoises investissent dans la construction d’un nouveau pont sur le Bosphore.
États-Unis et Russie
Pour ce qui est de la Russie, elle ne constitue pas un compétiteur économique. Après le démantèlement de l’Union soviétique en 1990, il fut question du temps du président Eltsine d’un partenariat avec les pays de l’Europe de l’Est et de la participation de la Russie au forum du G7. Toutefois, Poutine y a vu une perte d’influence russe qu’il a qualifiée d’être « la plus grande catastrophe géopolitique du 20é siècle. »
L’intervention de l’OTAN au Kosovar, le retrait américain du traité sur les missiles antibalistiques en 2002, l’élargissement de l’OTAN au pays de l’Est et le soutien apporté aux révolutions Orange en Géorgie, au Kirghizistan et en Ukraine n’allaient pas dans l’intérêt de la Russie. Poutine déclarait en 2007 : « contre qui l’expansion de l’OTAN est-elle dirigée ? » Lorsqu’il fut question d’intégrer l’Ukraine et la Géorgie à l’OTAN, la Russie envahit la Géorgie en 2008 et des parties de l’Ukraine en 2014. Un autre dossier sensible est l’ingérence russe dans les élections américaines au moyen de logiciels malveillants.
Néanmoins, Biden semble avoir rassuré les partenaires européens de l’OTAN dont la défense dépend complètement de la protection américaine. Il a réitéré son soutien à l’Ukraine après que la Russie ait massé des troupes à la frontière russo-ukrainienne. Dans un autre ordre d’idées, tout laisse penser que Poutine va rester en poste encore très longtemps. Jusqu’à présent, la politique effective de Biden à son égard ne se démarque pas de celle de son prédécesseur Trump, sinon qu’il a prorogé de 5 ans le traité de réduction des armes stratégiques New START que le président Trump voulait renégocier.
États-Unis -Arabie saoudite
L’Alliance entre les États-Unis et l’Arabie saoudite fut scellée après la Seconde guerre mondiale. Elle a tenu bon malgré la différence des régimes, soit une république démocratique et laïque et une monarchie absolue islamique et ultraconservatrice. Or, l’administration Biden a pris ses distances de l’Arabie en rapport à la guerre du Yémen et a rayé les Houtis de la liste des entités terroristes.
La politique houleuse envers l’Iran et la volonté de réintégration des États-Unis dans l’accord des 5 +1 sur le nucléaire iranien ne sont pas sans évoquer l’ombre d’Obama qui considérait l’Arabie comme problématique tout en œuvrant à des relations avec l’Iran qui ignorent la déstabilisation systématique à laquelle se livre ce pays au Yémen, au Liban, en Syrie et en Irak ou même les droits de la personne bafoués dans ce pays.
Le fait que les États-Unis aient retiré leurs batteries antiaériennes Patriot d’Arabie et qu’ils semblent ignorer l’Arabie et Israël dans les tractations en cours au sein des 5 +1 risque de laisser le champ libre à une pax poutina dans la région, si ce n’est à un aventurisme débridé de la part des Gardiens de la révolution iraniens.
Face à cette ouverture américaine, l’Iran teste les États-Unis en manipulant des groupements chiites en Irak contre des cibles américaines, en s’attaquant à des navires marchands dans le détroit d’Ormuz, en armant les Houtis du Yémen de missiles de longue portée visant l’Arabie, en augmentant la production d’uranium enrichi au-delà des limites prescrites par l’accord des 5 +1 et en installant des centrifugeuses avancées à Natanz.
Or, et alors que Biden promettait de faire de l’Arabie « les parias qu’ils sont », le secrétaire d’État américain Blinken vient tout juste d’avancer qu’il fallait rééquilibrer les liens avec l’Arabie saoudite et que cette relation bilatérale l’emportait « sur n’importe qui. » Il a réitéré l’engagement américain à la défense du royaume saoudien, reconnaissant ainsi le rôle essentiel de l’Arabie dans la préservation des intérêts stratégiques américains.
Recalibrage
Lentement mais sûrement, la politique américaine s’aligne sur un réalisme qui s’éloigne de considérations idéologiques. Ce recalibrage délicat est en cours. Alliés et adversaires en surveillent les méandres avec la plus grande attention.